La lenteur

Est-ce que vous auriez du plaisir à vous promener avec une tortue ? « C’est beau d’aller lentement, comme ça on prend le temps de vraiment s’imprégner du paysage », diront certains. Pour moi, par contre, ce n’est vraiment pas un plaisir. J’ai besoin de bouger ! Soit j’observe quelque-chose et je suis arrêtée, soit je marche à un bon tempo. J’ai déjà eu ce problème avec mon parrain, atteint de démence fronto-temporale, et maintenant avec ma maman. C’était vraiment une épreuve de devoir l’accompagner quelque-part ! Heureusement, ça s’est déjà beaucoup amélioré, et aujourd’hui, j’ai de nouveau du plaisir à marcher à ses côtés. D’ailleurs, elle va de plus en plus loin.

Tout est extrêmement ralenti chez une personne atteinte de démence. Il faut une patience extraordinaire, lorsque par exemple on pose une question et qu’on attend la réponse. Et bien souvent, la question prend tellement de temps à arriver à bon port, qu’elle se perd en route. Avec le temps, j’ai cessé de poser des questions à ma maman. Et c’est comme ça que les malades s’isolent de plus en plus et meurent à petit feu. Le regard de la personne malade perd de son éclat, il s’éteint. On nous dit qu’il est important de stimuler la personne malade. C’est facile à dire ! Au pire de la maladie, je devais stimuler ma mère pour qu’elle se lève, pour qu’elle aille aux toilettes, pour qu’elle boive, pour qu’elle ne reste pas au lit toute la journée. C’était comme s’il n’y avait plus personne là-haut et que je devais avoir de la volonté pour deux, de l’énergie pour deux ! C’était épuisant ! Et on ne reçoit pas d’aide pour ça ! Il faut penser à tout, tout organiser. Et parfois, on n’a même pas le temps de demander de l’aide. J’ai ressenti durement le manque de la présence d’une communauté autour de nous. Et quand je dis autour de nous, je parle du lieu où on habite. Sitôt que les amis habitent un peu plus loin, une aide soutenue devient difficile.

A tous les amis qui ont soutenu ma maman lorsqu’elle vivait encore chez elle, un grand merci! C’est grâce à vous qu’elle est restée chez elle si longtemps! Vous avez été présent au quotidien, fournissant l’aide que jamais aucune institution étatique n’aurait été en mesure de fournir!

L’organisation même de notre société est à revoir. Je pense que le prix à payer pour remplacer la vie en communauté est très élevé. On a remplacé la communauté par des institutions spécialisées situées forcément à distance du lieu de vie. C’est le cas des maisons de retraites, des hôpitaux et aussi des écoles, bien que concernant les écoles, le problème est un peu différent. En regroupant trop et en spécialisant les différents services, on créé un environnement stressant parce que les grands changements et les trajets quotidiens sont source de stress ! Je n’ai pas de solution miracle mais je pense qu’il y a quelques démarches à entreprendre pour recréer du lien social entre les gens habitants dans un même endroit. Tout le monde y est inclus, et tout le monde a quelque-chose à y apporter. Ce que mon parrain avait fait dans son locatif était remarquable! Il avait réussi à créer des liens forts entre les gens habitant la maison! A la construction de l’immeuble, il avait par exemple prévu une salle de jeux!

L’école du village pourrait être un lieu de rencontre créateur de lien. Malheureusement, les décisions sont prises par des gens ne faisant pas partie de l’école. La présence et l’engagement des parents n’est pas désirée. J’ai voulu aller une fois voir comment se passaient les cours avant d’y envoyer mon enfant et on m’a répondu que ce n’était pas «vorgesehen », un langage qui à mon avis devrait plutôt être réservé au tribunal !

Mais revenons à la lenteur, elle semble être à la mode. Seulement voilà, la lenteur dans son expression la plus extrême, c’est la mort ! Quoi de plus lent qu’un cadavre. Il est tellement lent qu’il ne fait plus rien ! Comme pour tout, il faut un juste milieu. Le ralentissement des personnes atteintes de démence devient tel qu’elles n’ont plus le temps d’effectuer les tâches nécessaires à leur survie ! Ma maman par exemple, prenait tellement de temps pour boire, qu’elle devait y passer toute la journée pour avoir un minimum d’hydratation. C’était mon combat quotidien. Elle était devenue incapable de simplement boire un verre d’eau ! Elle buvait gorgée après gorgée en faisant des poses de plusieurs minutes et oubliait systématiquement entre deux, qu’elle devait encore finir son verre.

Ma maman avait atteint un calme, une lenteur et une sérénité qui aurait fait pâlir de jalousie bien des personnes en recherche de spiritualité ! Ça me rappelle d’ailleurs une histoire racontée par Oliver Sacks, l’auteur de « l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau » : « Un homme avait rejoint un groupement en recherche spirituelle et on l’admirait beaucoup pour sa capacité à ne pas se laisser atteindre par les aléas de l’existence. En fait, une tumeur avait détruit une partie de son cerveau, détruisant les neurones qui lui auraient permis de réagir ! » Les émotions, les conflits, les erreurs, c’est la vie ! A trop vouloir travailler sur soi, on risque de devenir un mort-vivant !

charlotte

Maman de trois enfants en bas âge et ancienne proche aidante.