Au fur et à mesure que la maladie de ma maman s’empirait, les objets s’amoncelaient dans son appartement. Elle a toujours eu du mal à jeter des choses. J’ai encore le souvenir du vieux sèche-cheveux, où, si on n’y prendait pas garde, les cheveux se prenaient, s’enroulaient et se faisaient arracher ! J’en avais très peur ! Le problème fut résolu lorsqu’elle s’en débarrassa enfin et acheta un nouveau. Seulement à ce moment, cela ne me concernait plus parce que je me séchait moi-même les cheveux, et d’ailleurs, je n’utilise plus de sèche-cheveux depuis bien longtemps. Je laisse sècher sur la bête !
Avec la maladie, elle devenait de moins en moins capable de prendre des décisions. Au lieu de décider de jeter ou de garder un objet, elle remettait le problème à plus tard, et donc, les objets restaient et s’amoncelaient petit à petit dans son appartement. À force de garder pour un emploi futur, on finit par être envahi et ne plus rien trouver ! Je me rends compte maintenant que garder pour un hypothétique emploi futur n’est pas forcément une économie de ressources. Car à côté des matériaux il y a aussi le temps, l’espace et l’occupation du cerveau dont il faut tenir compte. Pour pouvoir se servir de ce que l’on garde, il faut soit l’avoir régulièrement sous les yeux où bien se rappeler où on l’a mis. Cela nous coûte de l’énergie. Ca parait être de peu d’importance mais cela commence à peser lorsque la quantité d’objets devient grande.
J’essaie de développer une autre manière de procéder avec les objets. Je ne veux pas qu’il m’arrive la même chose qu’à ma maman ! Une des tâches que j’ai dû effectuer à la place de ma maman, que j’ai trouvée difficile, a été de trier ses affaires. De décider pour elle de ce qui est utile et de ce qui ne l’est pas. Il était important de limiter ses affaires et de trouver une façon de ranger qui l’aide à se retrouver. Et ce qui est vrai pour une personne souffrant de démence l’est aussi en général. Le quotidien est beaucoup plus simple lorsque l’on a moins de choses. Et en ce moment, j’essaie de me simplifier la vie au maximum. Je sens que je m’approche de mes limites et qu’il faut que j’utilise mes ressources avec parcimonie.
Je me suis rendue compte que je gardais certains objets simplement parce que je pensais ne pas avoir le droit de m’en débarrasser. On ne se sépare pas d’un beau meuble ancien qu’on a hérité ou de l’horloge de la grand-mère! Or certains de ces meubles ne sont plus adaptés à notre vie actuelle. L’horloge, il faut la remonter tous les jours, la faire réviser régulièrement et elle est tellement délicate ! Et même si j’ai écrit mon travail de diplôme sur la mesure du temps, je ne crois pas être la bonne personne pour en profiter !
Il y a trois ans, nous avons liquidé l’appartement de ma maman. Nous n’avions qu’une semaine pour tout trier et décider de ce qu’on allait garder. Aujourd’hui je dis merci qu’on n’aie pas eu plus de temps, ça nous a permis d’être radical et de ne pas réfléchir une heure pour chaque décision: jeter ou garder ? J’ai une fois commis l’erreur de demander à ma maman son avis. Elle réfléchit longtemps et je n’obtint pas de réponse. Elle avait oublié la question avant d’avoir trouvé une réponse. Voir ce qui était arrivé à l’appartement de ma maman m’a aidé à me débarrasser de certains de mes objets. Mais que faire des objets nous reliant à une personne décédée? Jeter un objet dont une personne nous avait fait cadeau, est-ce que cela veut dire qu’on perd un peu plus de cette personne ? C’est en tout cas l’impression dont j’ai du mal à me défaire ! Mais en fait, ces objets je ne m’en sers jamais et je ne les regarde même pas. Tout ce qui est important est en nous ! Je n’ai plus besoin de garder le pull en laine de mon parrain décédé. Le vrai héritage se trouve ailleurs et est indestructible!
Il y a un autre héritage que je garde précieusement : les livres de Madelaine ! Madelaine était la sagesse incarnée ! Elle savait toujours écouter et donner l’impulsion nécessaire. Lorsqu’elle est décédée, je me suis sentie perdue. A qui demander conseil maintenant qu’elle n’était plus là ? Je commence aujourd’hui à comprendre où elle trouvait toutes ces informations si essentielles. J’ai reçu certains de ses livres à son décès et cela m’a permis d’entre-apercevoir une partie de cette sagesse qu’elle possedait. Je relis periodiquement certains des livres qui lui appartenaient comme récemment « la sophrothérapie ». Cette sagesse, elle est en chacun de nous et il suffit de se concentrer sur soi, de changer d’état de conscience, pour la retrouver. C’est un fait connu depuis longtemps, c’est la méditation des bouddhistes, le yoga, la prière des chrétiens, la transe des chamanes ou, plus proche de nous, la sophrologie.